samedi 8 février 2014

Portraits - premières leçons


Mes débuts dans l’art du portrait ne furent pas très prometteurs.

Ce pourrait être moi vers six ans... mais cela ne ressemble pas à mes dessins de l'époque.

Enfant, je dessinais tout le temps des visages dans les marges de mes cahiers, de préférence en classe. Sans avoir à l’esprit quelqu’un de précis, je laissais mon crayon suivre un profil imaginaire, ou je m'essayais à faire apparaître deux yeux, un nez, une bouche.

Même si tous ces éléments s’harmonisaient entre eux (ce qui n’était pas toujours le cas), j’échouais souvent à l’étape finale : tracer le contour du visage. J’avais du mal à recréer cette mystérieuse ligne qui relie les tempes, les pommettes, le menton. Ou la forme des cheveux. Je m’y essayais rarement, car le résultat était maladroit et peu plausible.

Le problème – j’en prends conscience aujourd’hui seulement, en écrivant ces lignes – venait du fait que je visualisais la chose en deux dimensions. Mes modèles inconscients étaient les illustrations des albums et des romans jeunesse que je lisais à l’époque... Il ne me vint jamais à l’idée de regarder mes professeurs et camarades de classe pour y trouver des informations sur les pommettes et le menton :o)


L'actrice Judith Godrèche photographiée par Paolo Roversi

On note une évolution intéressante de ce phénomène à l’adolescence, puisque mon inspiration venait alors essentiellement des photos trouvées dans les magazines. Je n’y cherchais pas délibérément des modèles : ils s’imposaient à moi. Au détour d’une page, j’étais interpelée par un regard, une présence – il fallait que je dessine ce visage.

Je travaillais au crayon HB ou B, en faisant largement usage de ma gomme; mes portraits étaient très réalistes, révélant les volumes et les ombres, les reflets dans les yeux, le satiné de la peau. Je passais des heures sur chacun d’entre eux, dans une sorte de transe. Un visage apparaissait sur le papier, par l’intermédiaire de mon crayon ! Si je faisais attention.

Il fallait être passionnée, persévérante, précise – et prudente.

Cependant mon dessin venait toujours d’une image, et s’en trouvait limité. Si la photo laissait une partie de la tête hors du cadre, je n’arrivais pas à l’intégrer à mon dessin de manière satisfaisante.

Elle était sur la couverture d'un catalogue.
Voir aussi dans la version anglaise, plus bas.

J’étais donc convaincue que je ne saurais jamais dessiner de mémoire, ni même avec une personne en face de moi. Et donc, de toute évidence, je ne pouvais pas devenir illustratrice, alors que c’était le seul métier qui m’ait jamais attirée.

Un soir pourtant, mon plus jeune frère, Benoît, qui avait environ dix ans à l’époque, lisait un livre dans le canapé. Personne d’autre dans le salon : j'ai commencé à esquisser son portrait, sans être précise ni prudente. À ma grande surprise, non seulement le résultat était (pour une fois) libre et naturel, mais c’était tout à fait lui.

J’ai ressenti un étrange vertige – et si finalement je pouvais dessiner d’après modèle ? … mais que se passerait-il si je laissais mes espoirs grandir, pour m’apercevoir que je n’étais pas assez douée ? – alors j’ai rangé le dessin, et je n’ai pas fait d’autres tentatives. (Cela éveille-t-il des échos chez certains d’entre vous ?)


Je n'ai pas retrouvé cette esquisse, mais en voici une autre, cette fois de mon frère Matthieu.
Je l'ai réalisée à Montréal, en partie de mémoire (je voulais le représenter tel qu'il était adolescent),
et en partie d'après une photo récente de lui, adulte.

L’étape suivante a consisté à explorer le monde par l’intermédiaire de la photographie. Je m’étais acheté un Minolta X-300s d’occasion, et le fait d’avoir cette boîte de métal entre les mains, de pouvoir regarder mon environnement à travers l’objectif, me donnait parfois l’audace qui, en tant que jeune fille timide, me faisait généralement défaut.

À l’époque, je trouvais très difficile de regarder les inconnu(e)s dans les yeux, et plus encore de leur parler. Mais j’ai quand même demandé à plusieurs étudiantes (que je connaissais à peine de vue) si elles voulaient bien poser pour moi, ainsi qu’à une femme rencontrée dans les rues de Paris, Alison, dont la beauté m’avait frappée.

Il s’est avéré que c’était une comédienne et artiste américaine, basée à New York mais amoureuse de Paris, où elle séjournait régulièrement. Si vous la connaissez, faites-le moi savoir, car j’ai oublié son nom !

La belle Alison.
Je l'ai revue à Montréal bien plus tard, par un heureux hasard : elle s'était assise quelques instants, 
les yeux fermés, dans la librairie où je travaillais à l'époque. 
Je l'ai aussitôt reconnue... Elle se souvenait très bien de moi.

Pour ces portraits j’utilisais toujours du film noir et blanc, et je projetais les négatifs sur du papier Ilford dans ma cuisine/chambre noire. À nouveau je regardais, émerveillée, les visages émerger à la surface du papier. Je travaillais encore principalement avec l’ombre et la lumière, cherchant des paysages dans la courbe des pommettes ou la ligne des sourcils, mais j’étais désormais plus sensible à la présence de chaque personne.


Quand j'ai vu cette petite fille au bureau de poste, 
je n'ai pas pu m'empêcher de demander à sa maman si je pouvais faire des portraits d'elle.
J'ai pris les photos quelques jours plus tard, dans un jardin.

D'importants changements sont survenus dans ma vie peu après, si bien que la suite prend place à Montréal, où je pouvais enfin être moi-même, mais aussi beaucoup plus à l’aise avec les autres, et où je pouvais me réapproprier mes rêves d’enfant. J'ai donc fini par m’inscrire à un cours de dessin avec modèle vivant, et j'ai découvert que j’étais incontestablement douée pour la chose.

C’était tellement libérateur, exaltant et gratifiant de voir un corps, un visage, une posture apparaître sur ma grande feuille, cette fois de façon fluide, concentrée et habitée, parfois en quelques minutes. Les modèles s’incarnaient littéralement à travers ma main. C’était magique.

Voilà pour vous, monsieur Doute et madame Oui Mais  ;o)

Esquisse réalisée en quinze minutes dans un atelier libre de modèle vivant.

Depuis, je dessine des gens à leur insu dans mon petit carnet, surtout à la faveur des trajets en train, car tout le monde est occupé à lire ou regarder dehors. J’ai récemment mis en route un projet d’exposition autour de portraits d’inconnus. Et j’offre maintenant (merci à Rachel pour ses encouragements) mes services comme portraitiste.

:o)

Vous en saurez plus lors de mon prochain billet sur le portrait, chers lecteurs :o)


PS – La version anglaise est parue juste en-dessous, sous le titre Portaits – First Lessons. Vous y trouverez une sélection d’images complémentaire à celle-ci.

2 commentaires:

  1. Je viens d'assister, ému, à la naissance de ce blog (ici en France paradoxalement on ne francise pas et point de PFK itou...) où les composantes sensibles de ton univers se font jour avec simplicité et sincérité.

    Touché de m'y trouver en portrait adolescent... et toujours émerveillé de cette capacité à "croquer" la singularité d'une personne en quelques traits d'esquisse.

    Je sais que ce blog est une étape importante pour toi et s'il existe c'est sûrement que Monsieur Doute a été sorti à coups de pieds... ;o)

    Matthieu.

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  2. Eh oui comme tu dis, mettre à la porte monsieur Doute m'a permis de faire plein de place pour les élans créatifs! Ils ont trouvé ici un bel endroit pour se déployer :o)

    Merci cher petit-frère-qui-a-grandi-lui-aussi, et à bientôt alors...

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